mercredi 15 septembre 2010

Mohamed Arkoun nous a quittés



C’est avec beaucoup de tristesse que nous venons d’apprendre le décès de Monsieur Mohammed Arkoun, immense figure de l’islamologie qui a été un des initiateurs de la création de l’IISMM.
Il fut mon professeur d'Islamologie dans les années 1980, j'eus l'occasion de le côtoyer lors de conférences sur l'Islam. Lors de notre dernière entrevue dans les couloirs de notre Département OMA, il avait son sourire plein de jeunesse.
Paix à ton âme, ya oustadna al-mouhtaram.
Saadane Benbabaali




MOHAMED ARKOUN est un intellectuel franco-algérien, philosophe et historien de l'islam. Un des professeurs les plus influents dans l'étude islamique contemporaine, ,il est professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne Paris 3, département Orient et monde arabe (OMA) et enseigne l’« islamologie appliquée », discipline qu'il a développée, dans diverses universités européennes et américaines, en référence à l'anthropologie appliquée de Roger Bastide Parmi ses sujets de prédilection, l’impensé dans l’islam classique et contemporain.

Mohammed Arkoun se situe dans la branche critique du réformisme musulman. Prônant le modernisme et l'humanisme islamique, il a développé une critique de la modernité dans la pensée islamique, et plaide pour un islam repensé dans le monde contemporain. Il y a consacré de très nombreux ouvrages dont La Pensée arabe (Paris, 1975), Lectures du Coran (Paris, 1982), Penser l'islam aujourd'hui (Alger, 1993), ou encore The Unthought in Contemporary Islamic Thought (Londres, 2002).

Mohammed A R K O U N: 1928- 2010

Itinéraire/ Biographie
Né en 1928 à Taourirt-Mimoun, Algérie ;
Études primaires à Taourirt-Mimoun;
Études secondaires à Oran;
Etudes supérieures à la Faculté des Lettres d'Alger; puis à la Sorbonne, Paris;

Agrégé de langue et littérature arabes, Paris 1956;
Docteur ès lettres, Sorbonne 1968.
Professeur à la Sorbonne Paris 3, Département Orient et monde arabe (1961-1991);
Fellow au Wissenschaftkolleg, Berlin 1986-87 et 1990;
Fellow à Institute for Advanced Studies, Princeton 1992-93;
Visiting Professor aux Universités: U.C.L.A., Los Angeles 1969; Princeton 1985, Louvain-La-Neuve 1977-1979; Institut Pontifical d'Etudes Arabes, Rome; Temple University, Philadelphia 1988-90; Amsterdam 1991-1993; New York University Mars-Avril 2001, 2003; Gifford Lectures, Edinburgh University Novembre 2001.
Conseiller scientifique pour les études islamiques à la Librairie du Congrès, Washington DC, depuis 2000.

Cours et Conférences à :
Rabat, Fès, Casablanca, El-Jadida, Safi, Alger, Tamanrasset, Annaba, Tlemcen, Ghardaya, Oran, Tunis, Kairouan, Tabarca, Tripoli, Le Caire, Beyrouth, Damas, Alep, Amman, Bagdad, Médine, Riyad, Sanaa, Mascate (Oman), Manama (Bahreïn), Koweit, Zanzibar, Mombassa, Dakar, Téhéran, New -Delhi, Bombay, Pékin, Dhaka, Jakarta, Jogjakarta; Samarkand, Moscou, Helsinki, Tampere, Turku, Stockholm, Oslo, Arrhus, Copenhague, Londres, Birmingham, Oxford, Cambridge, Edinburgh, Leiden, Nimègue, Rotterdam, Tilburg, Middelburg, Utrecht, Bruxelles, Liège, Gand, Louvain, Anvers, Hambourg, Hanovre, Bielefeld, Oldenburg, Berlin, Göttingen, Tübingen, Heidelberg, Berne, Zurich, Lausanne, Genève, Turin, Rome, Bologne, Naples, Amalfi, Salerno; Barcelone, Madrid, Cordoue, Grenade; New-York, Boston, Washington, Chicago, Miami, Houston, Denver, Bloomington, Berkeley, San Diego, UCLA, Los Angeles, Ann Arbor, Vancouver, Calgary, Montréal, Toronto, Venise, Spolèto, Assise, Pise, Cuneo, Salerno, Fano, etc.


Jusqu’à son décès, il était :

Professeur émérite à la Sorbonne (Paris III);
Visiting Professor et membre du Board of Governors à l'Institute of Ismaelî Studies, à Londres depuis 1993.
Directeur scientifique de la revue ARABICA, (Brill, Leiden) depuis 1980;
Membre du Comité directeur puis du Jury du Prix Aga Khan d'Architecture (1989-1998); Membre du Haut Conseil de la famille et de la population (1995-98) ;
Membre du Comité National d'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (1990-98); Prix Lévi Della Vida for Near Eastern Studies, University of California, Los Angeles 2002 ;
Docteur Honoris Causa de l’Université d’Exeter ; Gifford Lectures Edinburg University 2001 ;
Membre du Jury international du Prix UNESCO de l’éducation pour la paix (2002…); Membre du Jury du Prix Arabo-Français fondé par le Conseil des ambassadeurs arabes en France (2002…) ;
Membre du Conseil scientifique du Centre Inter -national des sciences de l’homme de Byblos (Liban, UNESCO) ;
Membre du Conseil scientifique de l’Institut Suédois d’Alexandrie ;
Membre de la Commission pour la Laïcité en France (2003).



PUBLICATIONS :

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Deux Epîtres de Miskawayh, édition critique, B.E.O, Damas, 1961 ;
Aspects de la pensée islamique classique, IPN, Paris 1963;
L'humanisme arabe au 4e/10e siècle, J.Vrin, 2°éd. 1982;
Traité d'Ethique, Trad., introd., notes du Tahdhîb al-akhlâq de Miskawayh, 1e éd.1969; 2e éd.1988;
Essais sur la pensée islamique, 1e éd. Maisonneuve & Larose, Paris 1973; 2e éd. 1984;
La Pensée arabe, 1e éd. P.U.F., Paris 1975; 6e éd. 2002; Trad. en arabe, anglais, espagnol, suédois, italien ;
L'islam, hier, demain, 2e éd. Buchet-Chastel, Paris 1982; trad. arabe, Beyrouth 1983;
L'islam, religion et société, éd. Cerf, Paris 1982; version italienne, RAI 1980;

Religion et laïcité: Une approche laïque de l'islam, L'Arbrelle, Centre Thomas More, 1989;
Lectures du Coran, 1e éd. Paris 1982; 2e Aleef, Tunis 1991;
Ouvertures sur l'islam, 1e éd. J. Grancher 1989;
L’islam. Approche critique, Le livre du mois, Club du livre 2002
Pour une critique de la Raison islamique, Paris 1984;
L'islam, morale et politique, UNESCO-Desclée 1986;
Combats pour l’Humanisme en contextes islamiques, Paris 2002
The Unthought in Contemporary Islamic Thought, London 2002.
De Manhattan à Bagdad: Au-delà du Bien et du Mal, Paris 2003

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En Arabe
Al-Fikr al-'arabiyy, éd.'Uwaydat, Beyrouth 1979;
Al-Islâm: Asâla wa Mumârasa, Beyrouth 1986;
Ta'rîkhiyyat al-fikr al-'arabiyy al-islâmiyy, éd.Markaz al-inmâ' al-qawmiyy, Beyrouth 1986;
Al-Fikr al-islâmiyy: Qirâ'a 'ilmiyya, éd. Markaz..., 1987;
Al-islâm: al-Akhlâq wal-Siyâsa, éd. Markaz..., 1988;
Al-Islâm: Naqd wa-jtihâd, éd. Dâr al-Sâqî, Beyrouth 1990;
Al-'almana wa-l-dîn, Dâr al-Sâqî 1990;
Mina-l-ijtihâd ilâ naqd al-'aql al-islâmî, Dâr al-Sâqî 1991;
Min Faysal al-Tafriqa ilâ Fasl-al-Maqâl: Ayna huwa-l-Fikr al-islâmiyy al-mu‘âsir, Dâr al-Sâqî 1993;
Al-Islâm, Urubbâ, wal-Gharb: Rihânât al-ma'nâ wa Irâdât al-Haymana, Dâr al-Sâqî 1995;
Naz‘at al-Ansana fî-l-fikr al-‘arabiyy, Dâr al-Sâqî 1997 ;

Qadâyâ fî Naqd al-Fikr al-dînî, Dâr al-Talî‘a, Beyrouth 1998 ;
Al-Fikr al-usûlî wal-stihâlat al-Ta’sîl, Dâr al-Sâqî 1999.
Ma‘ârik min ajli-l-ansana fî-l-siyâqât al-islâmiyya, Dâr al-sâqî, 2001.
Min al-Tafsîr al-mawrûth ilâ tahlîl al-khitâb al-dînî, Dâr al-Talî‘a, Beyrouth 2001.

vendredi 12 février 2010

Disparition de notre collègue Sophie Kessler-Mesguich


Notre collègue Sophie Kessler-Mesguich, est décédée à Paris ce lundi 8 Février 2010 à la suite d'une longue maladie qu'elle avait courageusement affrontée jusqu'à ce qu'une soudaine récidive réussisse à l' emporter.

Agrégée de grammaire et d’hébreu, Sophie Kessler-Mesguich est professeur de langue et linguistique hébraïques au département Orient et Monde arabe à l’université Paris 3 (Sorbonne nouvelle). Dans ce Département, elle était très appréciée de ses étudiants comme de ses collègues pour sa gentillesse et son dynamisme. En 2008, elle nous avait quitté - provisoirement, pensions-nous- pour pour prendre la direction du Centre de recherche français à Jérusalem (CFRJ).
Elle est l'auteur d'une thèse, soutenu en 1994 à l’université Paris, consacrée à l’étude de l’hébreu en France au XVIe siècle: Les études hébraïques en France, de François Tissard à Richard Simon (1510- 1685)
Elle a publié en 2002 un ouvrage intitulé La langue des Sages, matériaux pour une étude linguistique de l’hébreu de la Mishna (Paris/Louvain, Peeters).
En 2000, elle a soutenu une habilitation à diriger des recherches (De Sa‘adya Ga’on à l’Académie de la langue hébraïque, dix siècles de tradition grammaticale de l’hébreu).
Professeur de linguistique hébraïque à Paris 3, elle est aussi membre de l’unité mixte de recherche du CNRS « Histoire des théories linguistiques ».
Elle a de nombreux articles à son actif, parmi lesquels :
« La terminologie linguistique de l’hébreu contemporain », B. Colombat (éd.), in Métalangage et terminologie linguistique, Paris/Louvain, Peeters, Orbis/ Supplementa, 2001.
« L’enseignement de l’hébreu et de l’araméen par les premiers lecteurs royaux », A. Tuilier (dir.), in Histoire du Collège de France, tome 1, La création (1530-1560), Paris, Fayard, 2006 ;
« L’Académie de la langue hébraïque et la morphologie de l’hébreu contemporain (1977-1987) », B. Kaltz (dir.), in Regards croisés sur les mots non simples, ENS Éditions, 2008.
Elle a notamment publié L’hébreu biblique en quinze leçons (Presses universitaires de Rennes, coll. Études anciennes, 2008).
Elle a dirigé, en collaboration avec Jean Baumgarten, deux numéros de la revue Histoire Épistémologie Langage : la linguistique de l’hébreu et des langues juives (HEL 18/1, 1996) et Dix siècles de linguistique sémitique (HEL 23/2, 2001).
Le décès de cette brillante linguiste et spécialiste de l’hébreu, est une perte certaine pour les spécialistes de langue sémitique. Elle laisse un grand vide parmi tous ses collègues de l'UFR Orient et Monde arabe.
Avec nos plus sincères condoléances à son époux, Mr David Kessler ainsi qu’à leurs 3 enfants, Martin, Laure et Anna .

Documents:
1. Le hassidisme dans les littératures yiddish et hébraïque
Un écho qui vient de loin (83 mn)
Sophie Kessler-Mesguich, Professeur à l’Université Paris III
Musée d'art et d'histoire du Judaïsme - Paris, mars 2007

pour écouter la conférence:
http://www.akadem.org/sommaire/themes/liturgie/8/2/module_2642.php

Lien: http://jssnews.com/2010/02/11/disparition-d%E2%80%99une-specialiste-de-l%E2%80%99hebreu-sophie-kessler-mesguich/

samedi 7 novembre 2009

« Désir et élévation » De Ibn ‘Arabi à la « Vita nova » de Dante




Mercredi 25 novembre 2009 de 18h à 19h30 :


Bibliothèque d’études italiennes et roumaines
Centre Bièvre


« Désir et élévation ». De Ibn ‘Arabi à la « Vita nova » de Dante
par le professeur Jean-Charles Vegliante et Abdelwahab Meddeb.
Lectures par Chantal Saragoni


Désir et élévation :

Lecture en arabe et en français de quelques pages de Tarjumân al-Ashwâq, “L'interprète des désirs” (1215) d'Ibn 'Arabî (1165-1240). Extraits du prologue ainsi que les cinq derniers vers du poème 11 et l'intégralité du poème 12 commenté par Ibn 'Arabî lui-même.
Lecture en italien et en français d’extraits du prosimètre Vita nova “La vie nouvelle” (1293) de Dante Alighieri, dans l’édition procurée par G. Gorni en 1996 et traduite par un groupe CIRCE (M. Marietti, C. Tullio Altan, J.Ch. Vegliante). Dialogue et comparaisons.

Ibn ‘Arabî (Murcie, 1165) et Dante Alighieri (Florence, 1265) construisent, à un siècle de distance, deux œuvres immenses par quoi ils s’élèvent et pensent nous élever au seuil de l’expérience divine, et poétiquement à une forme de paradis. Ils ne le tentent pas seuls, selon nos habitudes modernes, mais sous le coup d’une inspiration qui dépasse leurs personnes ; voire avec l’aide d’un dieu, “sur ordre” pour l’un, sous la “dictée d’Amour” pour l’autre. Les intermédiaires (ou truchements, tarjumân) pour cette élévation sont deux jeunes femmes, Nizhâm d'Ispahan et Béatrice la florentine, celle qui dispense l’harmonie et celle qui rend bienheureux… Il s’agit aussi, dans les deux cas, d’un dévoilement au delà des apparences terrestres – toutefois indispensables objets de transition – vers un Absolu de l’amour total.




Jean-Charles Vegliante poète-traducteur (prix SGDL 2008), enseigne les lettres italiennes à l’Université Paris III. Dernier livre paru Nel lutto della luce / Le deuil de lumière, avec G. Raboni (Einaudi, 2004).



Abdelwahab Meddeb écrivain, poète, grand lecteur des Soufis, universitaire (littérature comparée, Université Paris X). Dernier livre paru Pari de civilisation (Le Seuil, 2009).



Chantal Saragoni est engagée dans une lecture approfondie de l’œuvre dantesque (intégrale de la Divine Comédie au Festival d’Avignon 2008). Elle a interprété récemment des textes de Rosa Luxembourg et de Guy de Maupassant, ainsi que de nouveaux extraits de La Comédie.

Annexes et lectures:

1. Vita nova

I
l est, dans cette partie du livre de ma mémoire avant laquelle peu de chose pourrait se lire, un titre rouge qui dit : Incipit Vita Nova. Et sous ce titre rouge, je trouve écrits les mots que j’ai résolu de transcrire dans ce petit livre, sinon tous, du moins leur substance. [2] Neuf fois déjà depuis ma naissance le ciel de la lumière était revenu dans sa giration à un presque même point, quand apparut devant mes yeux pour la première fois la glorieuse dame de ma pensée, que bien des gens appelèrent Béatrice sans savoir la valeur de ce nom. [3] Elle était restée en cette vie aussi longtemps que le Ciel Étoilé met à se mouvoir vers l’orient de la douzième partie d’un degré, si bien qu’au début presque de sa neuvième année elle m’apparut, et je la vis presque à la fin de ma neuvième année. [4]
Elle apparut vêtue de couleur très noble, d’un rouge sang humble et honnête, avec la ceinture et les ornements qui convenaient à son très jeune âge. [5] En cet instant, je dis en vérité que l’esprit vital, qui demeure dans la très secrète chambre du cœur, commença de trembler si violemment que les pulsations s’en faisaient sentir terriblement dans mes plus petites veines et, tremblant, il dit ces mots : « Ecce Deus fortior me, qui veniens dominabitur michi! ». [6] En cet instant, l’esprit animal, qui demeure dans la haute chambre où tous les esprits sensitifs portent leurs perceptions, commença de s’émerveiller fort et, s’adressant spécialement aux esprits de la vue, dit ces mots : « Apparuit iam beatitudo vestra! ». [7] En cet instant, l’esprit naturel, qui demeure là où se répartit notre nourriture, commença à pleurer et, pleurant, dit ces mots : « Heu, miser, quia frequenter impeditus ero deinceps! ». [8] Dès lors, je dis qu’Amour domina mon âme, qui lui fut tout aussitôt épouse, et il commença à prendre sur moi, par la force que lui donnait mon imagination, une telle assurance et une telle domination qu’il me fallait obéir complètement à toutes ses volontés.


1 Voici un dieu plus puissant que moi, qui va venir me dominer.
2 C’est bien votre béatitude qui est apparue!
3 Hélas, malheureux, désormais je serai empêché fréquemment!

Traduction groupe CIRCE (Sorbonne Nouvelle)



Ibn Arabi séjourne à La Mekke deux ans, de 1202 à 1204, après avoir traversé rapidement l’Égypte et la Palestine, où il avait visité les sanctuaires de Jérusalem et d’Hébron. Il fut accueilli dans la capitale spirituelle de l’Islam par un vénérable shaykh iranien, qui se distinguait par la force de son esprit et la profondeur de sa science. Il fit aussi connaissance de la sœur de ce shaykh, également remarquable par sa piété et ses connaissances, et de sa fille, Nizam, qui avait reçu du Ciel le triple don de la beauté, de la connaissance et de la sagesse. C’est à la mémoire de Nizam qu’Ibn ‘Arabi composa son immortel dîwân , Tardjuman al-ashwaq (L’Interprète des ardents désirs ), qui compte parmi les chefs-d’œuvre, non seulement de la littérature du soufisme, mais de la poésie spirituelle de l’humanité.







Pr
ochaine lecture :

Mercredi 20 janvier 2010
de 18h à 19h30

A la Bibliothèque Universitaire de Paris III
(Salle des périodiques)


« Poésie des rues, poésie des bibliothèques : lecture de Ciaran Carson »
par le professeur Carle Bonafous-Murat

jeudi 29 octobre 2009

la culture andalouse et le muwashshah

Le 28 octobre 2009: La plume, la voix et le plectre

La culture andalouse et le muwashshah

Introduction :

Notre sujet concerne une période historique et une contrée qui ont eu une grande importance dans la transmission de la culture et de la pensée orientales à l’Occident : l’Espagne musulmane, (al-Andalus en arabe) entre le début du 8e siècle et la fin du 15e siècle.

Les poètes andalous se sont distingués, entre autres, par la création de la strophe avec la multiplication des rimes et des mètres dans un genre appelé muwashshah . Cette innovation s’est produite sur une terre qui a réuni des ethnies différentes dont les principales sont les Ibères (juifs et chrétiens), les Arabes (musulmans) et les Berbères (nouvellement islamisés).

Loin du pouvoir central abbaside installé à Bagdad, les Andalous se sont doté d’un califat autonome, le califat omeyyade (continuateur de la dynastie déchue de Damas). À La fin du 10e siècle et au début du 11e, la civilisation , le raffinement, le goût du luxe, la courtoisie amoureuse avaient pour patrie Al-Andalus ! Et le grand monarque qui occupait le trône le plus envié à l’époque était Abderrahmane III.

Cet émir qui a unifié le Royaume d’Occident a eu l’audace de se proclamer calife face aux Abbassides dont le déclin allait entraîner le morcellement de l’Empire en Orient. Sous son règne, les différentes ethnies ont connu une symbiose sociale comme il en a existé très peu dans l’histoire humaine.

Malgré les affrontements incessants entre le Sud de la Péninsule (musulman ou allié de l’Islam) et le Nord (se présentant comme le bras armé de la reconquête chrétienne), l’Espagne a écrit des pages magnifiques de coexistence enrichissante.

Après la chute du dernier royaume musulman à Grenade en 1492 puis l’expulsion des morisques en 1610, des actions furent entreprises le long des siècles pour effacer les traces de la présence musulmane dans la Péninsule ibérique. Mais le sol et le sous-sol espagnols et portugais gardent encore les traces de huit siècles de coéxistence arabo-ibéro-musulmane. De même, le Maghreb porte, chez une grande partie de sa population descendant d’anciens émigrants andalous les signes visibles de l’origine ibérique.

Aujourd’hui en Espagne surtout, un peu moins au Portugal, des millions de touristes se bousculent pour visiter les vestiges les plus visibles d’une aventure humaine exceptionnelle :

les magnifiques palais des Nasrides à Grenade et la grande mosquée de Cordoue, la Torre de Oro ou la Giralda à Séville.

À cet héritage architectural fabuleux, il faut ajouter le rôle joué par al-Andalus dans la transmission des savoirs antiques, chinois, indien, persan, mésopotamien et gréco-latin à l’Europe.

Enfin, tout un art de vivre et une vision nouvelle des rapports hommes/femmes ont vu le jour en terre d’al-Andalus. À partir du 12e siècle, Les troubadours chanteront la soumission à leurs dames , dans des poèmes inspirés en partie par leurs aînés cordouans ou sévillans.

1 Tradition poétique et innovation

Les poètes andalous ont d’abord commencé à imiter les grands poètes orientaux de Damas et de Bagdad. Il fallait écrire comme al-Mutanabbî ou se taire.Mais après trois siècles d’histoire, les Andalous ont senti la nécessité de se libérer de cette tutelle. Ils ont alors inventé une forme originale de poésie exprimant les spécificités de leur identité particulière.

Rompant avec l’ancienne ode arabe qui date de la période préislamique, les poètes andalous vont opérer une véritable révolution dans un domaine auparavant intouchable : la poésie des Anciens. Ils mettent en place dès la fin du 10e siècle, une forme de poésie strophique appelée muwashshah (poésie embellie, enjolivée en arabe). Ils abandonnent les poèmes monorimes bâtis sur un mètre unique et inventent l’alternance des rimes et des rythmes. Ils se détournent totalement des thèmes guerriers des pleurs sur les vestiges de la bien-aimée, ils envoient aux oubliettes les descriptions des déserts et développent une poésie conforme au « Paradis andalou ».

Le muwashshah consacré uniquement à la beauté de la nature, à l’amour et à l’ivresse devient ainsi le mode d’expression poétique approprié d’une société qui a réussi à établir une relative harmonie entre ses différentes composantes sociales et ethniques. L’art du tawshîh est incontestablement la signature originale d’une civilisation à l’image des diverses sensibilités qui se côtoyaient alors: ibère, arabe et berbère.

Sa particularité :

  • Emploi du parler andalou dialectal et du romance dans les pointes finales appelées khardjas
  • Liaison étroite avec la nawba ce système musical d’un certain Ziryab arrivé de Bagdad mais devenu « andalou » d’adoption

2.Un nouvel art d’aimer

Malgré leur apparente simplicité, ces poèmes strophiques reflètent une conception très particulière des rapports amoureux. Les hommes (en tant qu’amants) sont invités à participer à l’élan vital de la nature et à la symphonie du cosmos.

Cette exhortation leur est adressée par les créatures animées et inanimées appartenant à tous les niveaux de la création. Tous les éléments naturels participent à l’univers amoureux et bachique.

  • Au plan terrestre : les parterres de fleurs, les canaux et cours d’eau, les arbres, les collines, les montagnes…
  • Au plan intermédiaire : les oiseaux, la brise, le vent, les nuages, la pluie….
  • Au plan céleste : le soleil, la lune, les étoiles…

Cependant c’est la femme qui est au cœur de cette symphonie cosmique: elle est celle qui réunit en elle toute la nature et même les créatures du Paradis :

Yaqûlûna fî l-bustâni husnun wa bahdjatun…

wa in shi’ta an talqâ al-mahâsina kulla-hâ

fa-fî wadjhi man tahwâ djamî‘u l-mahâsini

On dit que charme, beauté et joie de vivre

Se trouvent dans le jardin...

Mais, si tu désires profiter de toutes ces merveilles,

C’est dans le visage de celui que tu aimes,

Que tu les trouveras.

Sur son front ou son visage, tous les astres resplendissent : soleil, lune et étoiles.

Toi dont le charme est sans pareil :

Ô croissant de lune, par une nuit obscure,

Luisant au sein d’un nuage,

Tes rayons sont couleur d’or.[1]

La délicatesse de sa démarche et la beauté de ses yeux évoquent celles des gazelles :

Ô toi qui as le regard de gazelle, dis-moi

Es-tu un être humain ou bien un ange ?[2]

Sa taille élancée, fine et souple est comparée aux rameaux du saule ;

ses joues ont la couleur des roses ;

Ses yeux ont la noirceur envoûtante de ceux des houris ;

sa bouche recèle les perles les plus rares ;

Son haleine exhale les parfums les plus exquis ;

Sur ses lèvres, l’amant déguste un divin nectar;

Enfin sur sa poitrine poussent des pommes et des grenades aux formes parfaites.

Les poètes andalous et leurs successeurs ont ainsi concentré dans le corps de la femme un univers miniature avec ses minéraux, végétaux et animaux. Ils y ont uni aussi les plaisirs du monde terrestre aux délices du Paradis promis aux bienheureux dans l’au-delà.

L’amour : entre délices et souffrances

Les poètes andalous ont parlé de l’amour avec une délicatesse et ont déployé tous leurs talents pour en nommer les aspects les plus insoupçonnés.

Pour nommer ce sentiment ils ont eu recours à une longue liste de vocables que la langue arabe a forgé depuis des siècles:‘ishq, hawâ, wadd, sabb, hiyâm et shaghaf, mais aussi djunûn, walah, tatayyum, law‘a, wajd et kalaf .

Mais ils ont su leur imprimer leur propre sensibilité. Ils ont su trouver les mots qui expriment la couleur et le parfum de chaque état amoureux. (Cf. Le Collier de la Colombe d’Ibn Hazm)

Dans cette poésie, l’amour se décline sous ses deux aspects fondamentaux: il est dans l’union comme il est dans la séparation.

Le narrateur principal est très souvent un amant qui sait apprécier la douceur de l’amour comme son amertume ainsi que le proclame al-Kumayt ibn Zayd.

Al-hubbu fî-hi halâwat-un wa marârat-un

w-al-hubbu fî-hi shaqâwat-un wa na‘îmun.[3]

L’amour est douceur et amertume

L’amour est infortune et félicité.[4]

L’ingéniosité des poètes andalous réside dans leur capacité à présenter des variations infinies de situations à partir de canevas très simples :

- L'amant qui a connu le bonheur de l'union est ensuite séparé de sa bien-aimée ;

- L’amant qui a longtemps souffert de l’absence de l’être aimé, est finalement gratifié de la visite de celle qu’il désire;

- L’amant souffre de l’indifférence de celle qui l’a envoûté et qui ne daigne pas répondre à ses avances.

- L’amant, qui goûte aux délices de l’union, redoute au coeur même de son bonheur, les risques d’une séparation.

La séparation comme l’union ne se présente jamais sous le même aspect dans la bouche de l’amant qui en fait part. Elles sont aussi originales que peuvent l’être des expériences individuelles, toujours inédites, parfois presque indicibles. C’est la raison pour laquelle le poète a parfois recours à des métaphores excessives :

Al-bu‘du Djahîm wal-qurbu Djanna

L’éloignement est un enfer et l’union un paradis.

La souffrance due à la séparation mine totalement l’être de l’amant éperdu. Il perd le goût de la nourriture et le sommeil le fuit. Il dépérit, devient pâle et chétif. Véritable moribond, il veille, esseulé, avec les étoiles pour uniques compagnes. Son état révèle alors la passion que les règles de la courtoisie imposent pourtant de cacher. Et ce qui accroît sa peine, c’est la satisfaction des espions envieux, des cancaniers malveillants et des censeurs hypocrites.

Heureusement l’amant n’est pas toujours seul. L’amour a aussi ses alliés et défenseurs. C’est à eux que s’adresse la plainte de l’amoureux éploré. Commensaux, amis compréhensifs et personnes à l’esprit tolérant sont interpelés afin de lui prêter une oreille compréhensive :

Ami, je n’ai plus de patience

Et ma passion est toujours aussi intense.

Celle que j'aime me tourmente sans raison,

Et elle m’a banni de ses pensées.

Que Dieu me réunisse avec la lumière de mes yeux,

Au grand dépit des espions et des envieux ![5]

L’amant souffre, certes, mais n’est pas désespéré. Bien au contraire. Malgré les obstacles qu’il rencontre sur son chemin et qui le séparent encore de sa bien-aimée, il garde le ferme espoir de voir sa belle lui revenir ou céder à ses avances. Les atouts du « martyr » de l’amour sont une fidélité sans faille et une soumission totale aux caprices de la bien-aimée.

Je lui fais don de mon âme, qu’elle en soit heureuse !

Je suis à sa merci à chaque instant de ma vie !

Il est constamment déchiré entre l’envie d’avouer sa défaite et de se réfugier auprès de Dieu et sa persistance dans la voie du plaisir et du carpe diem

Yâ Allâh tawba !

Mon Dieu, je veux me repentir !

Lance t-il tantôt

Et tantôt

Man qalli tub wa anâ na‘shaq wa nashrab

Qui donc m’invite au repentir à l’heure d’aimer et de s’enivrer.

L’amant fidèle et soumis est souvent récompensé par le retour de la bien-aimée. Elle répond alors à ses avances et le comble d’une visite souvent nocturne.

La rencontre des amants après la longue absence est alors l’occasion de fêtes sublimes dont les poètes nous gratifient dans de nombreux poèmes andalous. Seuls ou en compagnie de convives de choix, les amants trinquent à leurs retrouvailles. Le vin est partagé et l’ivresse vient révéler à l’amant des aspects insoupçonnés de la beauté de sa bien-aimée. Le front est plus éclatant de clarté, les yeux plus envoûtants que celles des houris et la salive de l’aimée surpasse en douceur le nectar que l’on sert à la ronde.

Quelle joie ! La chance enfin me sourit :

Mon bien-aimé est ici en ma compagnie !

Je célèbre une fête en son honneur

Laissant nos ennemis dehors à leur douleur.[6]

Vidéo réalisée par Saadane Benbabaali

Saadane Benbabaali

Paris le 28 Octobre 2009



[1]Yâ badî' al-housn : CD /1

[2] shabîh dayy al-hilâl, CD / 8

[3] Cité dans Al-Muwashshâ‚ al-Washshâ’, Dâr Sâder, p.102.

[4] Al-Washshâ’, Le Livre du brocart, trad. S. Bouhlal, Gallimard, 2004, pp.108-109.

[5] Yâ mouqâbil : CD /9.

[6] Yâ mouqâbil : CD /9.

samedi 17 octobre 2009

Armand Robin (1912 - 1961)


Poète méconnu, romancier, traducteur hors norme, essayiste, homme de radio, de théâtre;
Breton exilé mais resté fidèle à son pays natal.


Avec de grands gestes,
J'ai jeté pendant quatre ans mon âme dans toutes les langues,
J'ai cherché, libre et fou, tous les endroits de vérité,
Surtout j'ai cherché les dialectes où l'homme n'était pas dompté.
Je me suis mis en quête de la vérité dans toutes les langues.
Le martyre de mon peuple, et de tout peuple, on m'interdisait
En français.
J'ai pris le croate, l'irlandais, le hongrois, l'arabe, le chinois
Pour me sentir un homme délivré.
J'aimais d'autant plus les langues étrangères
Pour moi pures, tellement à l'écart :
Dans ma langue française (ma seconde langue) il y avait eu la trahison, toutes les trahisons :
On y disait oui à l'infamie.
On savait y dire oui à l'infamie!
J'ai senti le martyre de mon peuple dans les mots de tous les pays
J'ai souffert en breton, français, norvégien, tchèque, slovène, croate
Et surtout en russe .
Je me suis étendu sur la grande terre russe,
J'entendais les chants d'un peuple immense qui voulait bien mourir
Et là, crucifié, je ne sentais pas de mal,
Là, fatigué, je ne sentais que de la rosée,
Là, fatigué de moi, je me sentais reposé
Là, fatigué, j'ai tout senti en rosée.

Source : armandrobin.org

dimanche 11 octobre 2009

Rou’hama Shain ” Pour atteindre les étoiles “


Atteindre l’autre

On peut communiquer par le silence
Un signe de tête
Un regard qui en croise un autre
Un sourire qui passe
Une poignée de main
Un chuchotement d’un cœur a un autre

On peut communiquer par la parole
Douce musique pour l’oreille
Qui revigore les sens
Qui transporte un message d’amour et d’espoir
Qui rend la foi
Et apaise l’âme

On peut communiquer par l’écriture
Qui éveille celui qui somnole
Fouette la pensée
et exalte l’imagination
Qui disperse les ténèbres et répand la lumière,
Qui entrouvre les lucarnes de notre esprit
Et permet a l’air frais de pénétrer.

Rou’hama Shain ” Pour atteindre les étoiles “